Déballage Florent Aziosmanoff

LE JARDIN DES AMOURS 

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Biographie 

Psychosociologue de formation, puis réalisateur vidéo, Florent Aziosmanoff s’oriente vers l’art numérique à la fin des année 1980, co-fondant l’association ART3000, créant et dirigeant la revue NOV’ART ainsi que de nombreuses conférences et expositions. Il est aujourd’hui auteur et producteur dans le champ de ce qu’il désigne le « living art », une forme d’expression basée sur l’intelligence artificielle et qui permet de doter une œuvre d’un comportement complexe et établissant une relation avec son spectateur. Il est directeur de la création du Cube.

L’installation Le jardin des amours se présente sous la forme d’un ensemble de mobiliers de jardin : bancs, poubelles et luminaires parasol. Ce mobilier est robotisé, pouvant percevoir son environnement, ses congénères, ainsi que les usagers du jardin public dans lequel il est déployé. Ces mobiliers sont également des plateformes numériques universelles, délivrant tous les services et contenus disponibles, résidant dans leur système ou accessible via Internet auquel ils sont reliés.

Le projet du Jardin des amours consiste dans le fait d’investir ce système global et d’y apporter les plans symboliques et affectifs. En effet, tous les comportements des robots, entre eux ou avec les usagers, sont gouvernés par les enjeux du théâtre Marivaux.

 

Résumé des échanges

Florent Aziosmanoff introduit sa présentation et expliquant que le projet du Jardin des amours était né d’une discussion qu’il avait eu en 1999 avec des architectes et des urbanistes, leur expliquant que l’apport du numérique résidait principalement dans l’intelligence artificielle : le projet avait été présenté comme un exemple d’application à l’espace urbain. Il s’était ensuite nourri de la considération que la capacité de fournir un service subissait l’influence de la fonction dramatique qui lui était associée. Or, dans un dispositif au comportement autonome, la fonction dramatique se constitue de fait dans la relation établie entre l’objet et l’usager. Cette fonction dramatique pouvait donc être investie d’un projet artistique.

Le système dramatique choisi par Florent Aziosmanoff pour Le jardin des amours est le théâtre de Marivaux. Il décrit alors comment les robots sont dans un système de marivaudage entre eux, avec les usagers et, dans l’idéal, le provoquant entre les usagers. Tout leur système de service se trouve dépendant des variations du jeu marivaudien.

Le moteur de comportement intègre une caractéristique particulière : la mise en œuvre d’un plan conscient et d’un plan inconscient. Ce dernier fait office de libido, et gouverne le « sens » dans lequel le robot oriente son désir, allant de la recherche de l’autre à son évitement. Cette libido fluctue en fonction des expériences même de relation que vit le robot.

Sont ensuite évoqué les problèmes liés à la détection, qui sont nombreux en système extérieur, et mêlant humains et robots. La solution semblant plutôt à chercher dans la qualité du comportement que dans les progrès de la détection.

Est ensuite discuté l’apparent paradoxe que, exprimant du Marivaux, les robots s’exprimeront sur tous les plans de communication, sauf celui de la parole.

La question de la place accordée au spectateur dans Le jardin des amours en ensuite évoquée, avec l’idée que le public doit finalement être lui-même prit dans un marivaudage. Il sera confronté à l’état de la libido des robots, participant même à sa variation par le jeu de la relation entretenue avec eux.

Transcription pdf à télécharger ici

Participants 
Florent Aziosmanoff, directeur de la création – Le Cube
Didier Bouchon, directeur technique – Le Cube
Isabelle Delatouche, présente un projet en cours d’élaboration au Cube
Vincent Lévy, auteur dans le domaine du living art
Maria Cosato, plasticienne
Sana Mouhda, doctorante à ATI à l’Université Paris 8, de formation plasticienne
Hugo Verlinde, artiste numérique ayant deux installations living art en cours au Cube
Brigitte Rio, plasticienne
Bidhan Jacobs, doctorant en cinéma à Paris 3, enseignant en cinéma et arts numériques à Lyon 2 Isabelle Morel, production de spectacle vivant
Dominique Girard, développeur
Zoé Artuis, réalisatrice et vidéaste
Yasmina Lahjij, assistante de Recherche, Le Cube – en charge de la transcription.

 

Échanges  (Les parenthèses sont les notes du transcripteur)

(54727 signes – 36,5 feuillets)

Florent Aziosmanoff (F.A.) : Pour la deuxième fois depuis l’existence d’Art3000 et la création de ces déballages, je vais présenter un projet. Mon dernier déballage remonte en 1995, j’y avais présenté un projet de fiction. Vous allez voir que je m’aventure une fois de plus dans le vide, sous certains aspects.

Nous avons ainsi obtenu un soutient de la Région Ile de France, ainsi que de Cap digital, afin de réaliser la première étape du projet, qui sera présentée à « Futur en Seine » en Juin 2011. La date butoir a accéléré le processus de création, la pièce doit être présentée à cette échéance.

Et pour commencer par le début, ce projet est né en 1999, après une discussion à l’ENSCI (Ecole Nationale Supérieure de Création Industrielle) réunissant des urbanistes et des architectes, se concertant sur l’apport du numérique. C’était il y a douze ans et les choses étaient moins claires qu’aujourd’hui pour ce qui concerne la création numérique.

A l’époque, ce qui était considéré comme étant la modernité dans le monde de l’architecture, était de pouvoir concevoir des bâtiments au moyen de techniques numériques dispensant de passer par le papier. Ainsi, cela revenait à ne plus être confronté à la pesanteur des techniques traditionnelles.

Du point de vue du « dessin » du bâtiment, cela permettait des créations plus libres. Et cela rendait possible également la réalisation de dispositifs complexes en passant directement du dessin numérique à la fabrication des pièces du bâtiment par des machines à commande numérique.

J’ai essayé de leur expliquer que la spécificité de l’apport numérique ne résidait pas dans cette dimension – importante par ailleurs — et j’ai tenté de leur faire comprendre le principe du comportement autonome apporté par le numérique.

Parlons tout d’abord du contexte d’émergence du Jardin des amours : Dominique Sciamma, un des intervenants du séminaire d’introduction au living art, enseignant au Strate Collège Designer, a proposé que nous réalisions ce projet, et que nous réunissions des partenaires pour cela.

Ils m’ont demandé de leur donner concrètement un exemple, qui m’est alors venu à ce moment là : prenons une rue piétonne à aménager où l’on installe des bancs, des luminaires et des poubelles à l’endroit que l’on pense le plus approprié pour une utilisation moyenne. L’agencement restera comme établi au départ, durant des décennies.
Maintenant, imaginons que ces trois objets soient mobiles, et qu’à chaque instant ils se mettent à l’endroit où c’est pratique pour les usagers de la rue en question. Par exemple, le matin et le soir, lorsque les gens sont pressés pour rejoindre le métro, les objets ne se mettent pas au milieu de la rue,mais se déplacent sur les côtés, afin de ne pas gêner les déplacements.

En revanche, en milieu d’après-midi, qui serait le temps de la flânerie, les objets pourraient se répartir un peu partout. Cela induit que ces objets doivent être capables de trouver une place convenable pour l’usage que l’on attend d’eux. Il y a une incessante variation de leur comportement pour s’adapter à la situation.

C’était donc un exemple d’équipement urbain fonctionnant sur la base d’une intelligence artificielle. Il s’agit d’une « idée » que je ne suis pas le seul à avoir eu. Il est clair qu’elle me provient, ou est en tout cas inspirée, de tous les films et romans présentant des objets de cette sorte, depuis fort longtemps. A l’époque, il n’y avait pas dans cette idée de composante artistique. Mais elle est tout de même restée dans un coin de ma tête.

Plus tard, à l’occasion de la réalisation du Petit Chaperon Rouge, je me suis dit que lorsqu’un objet au comportement autonome s’installe dans une relation avec son public, s’il est conjointement porteur d’une fonction dramatique et d’un service, et bien le service sera apporté différemment par la fonction dramatique à laquelle il sera associé.

Par exemple, par défaut nous attendons d’un robot qu’il soit patient. Il n’est pas supposé s’énerver au bout de quelques minutes. Ce serait cela le bénéfice attendu du robot. On pourrait lui demander de répéter une instruction 800 fois de suite, il le ferait. On peut penser que c’est une valeur en soi.

Il m’est ensuite venu à l’esprit que puisque nous sommes dans un service destiné à des usagers, à des êtres humains, le fait de dramatiser cette relation, de mettre des valeurs reconnaissables dans le fonctionnement du robot, aura a minima une influence sur l’attitude du spectateur – et pourra peut-être permettre de rendre un meilleur service.

Pour aller dans ce sens, un robot impatient obtiendra peut-être de meilleurs résultats qu’un  robot patient – dans le cas où on se pose la question d’un résultat.

C’est une hypothèse. J’ai alors investi cette idée et j’ai observé que ces robots sont dans un système relationnel entre eux et avec les usagers – ils circulent, proposent un service.

Je me suis alors demandé quel pourrait être le système dramatique investi par les robots, qui pourrait gouverner l’ensemble de leurs relations et comportements. Et je suis arrivé au théâtre de Marivaux.

En première analyse, la caractéristique principale de ce théâtre est de représenter toutes les situations d’approches du couple, avec la particularité de s’arrêter au moment clé du baiser marquant la conclusion de l’union. Certains metteurs en scène demandent aux comédiens de finir par s’embrasser sur scène, mais ce n’est pas véritablement inscrit dans l’œuvre, cela reste une interpretation. Pour l’essentiel, Marivaux ne se situe pas dans cette finalité, mais précisément dans toutes les situations d’approche qui la précède.

Voilà donc un cadre un peu général qui m’a amené à penser que ces robots pourraient être pris dans un Marivaudage, entendu non pas dans un sens péjoratif comme celui donné par Voltaire à l’époque, mais perçu sous l’angle des jeux de relations entre individus constituant des figures de couples.

Dans mon projet, ce marivaudage se joue entre les objets, mais aussi entre les objets et les usagers. Et pourquoi pas, entre les usagers eux-mêmes, via l’entremise des robots. Dans ce dernier cas de figure, nous atteindrions véritablement l’objectif d’être dans du Marivaux.

Pour préparer le projet, j’ai travaillé avec un conseiller dramaturgique, David Ferré, qui m’a amplement aidé à comprendre ce qu’est le théâtre de Marivaux.

Nous avons un partenaire scientifique, le CRIFF (Centre de Robotique Intégré d’Ile de France) basé à Jussieu, en charge de la mécatronique – électromécanique et technologie informatique faisant que les robots peuvent se déplacer –. Le Strate College Designer, par ses étudiants, prendra en charge le design des robots et des services apportés par l’objet. Enfin, ici, à l’atelier de création du Cube, s’élabore le comportement des robots, qui sera dirigé et réalisé en grande partie par Didier Bouchon.

Actuellement, nous voyons arriver les premiers éléments de mécatronique, et les designers se mettent à travailler sur la conception du design. Pour ma part, je me situe dans cet entre-deux, entre compréhension du théâtre de Marivaux et transformation de celui-ci afin de définir le comportement des robots. C’est cela que je vous exposerai aujourd’hui et que j’aimerais discuter avec vous, à la fois ce que je fais et la méthode utilisée.

Un des outils utilisés est une représentation virtuelle du système des robots. Développé par un ingénieur, Ouali Chabi, travaillant ces temps-ci à l’atelier, la démonstration représente les éléments constitutifs non finalisés formellement, puisque nous n’avons pas encore les propositions des designers.

La « distribution » sera peut-être redéfinie, car aujourd’hui nous pensons à une poubelle, un banc, un luminaire, mais cela n’est pas exhaustif, et sans doute que les designers proposeront des objets avec des fonctions différentes. La poubelle pourrait être intégrée à l’accoudoir du banc par exemple…

(Il est diffusé à l’écran la présentation virtuelle du Jardin des amours.)

Les personnages dans cette démonstration ont un comportement erratique et le comportement de ces robots est quant à lui pour le moment simpliste et arbitraire. Ils se déplacent, ont des attitudes élémentaires et une capacité à montrer leur service. Nous sommes dans un système où l’on peut déambuler dans l’espace avec différentes vues, mais on ne peut pas agir sur les objets ou déclencher leurs fonctions.

Vincent Lévy (V.L.) : Sur le marivaudage : ils marivaudent entre eux ou avec les usagers ?

F.A. : Ils marivaudent entre eux, avec le public, et s’ils sont capables d’induire du marivaudage dans le public de façon contrôlée par le dispositif, à ce moment là nous sommes encore dans le projet.

V.L. : Tu veux dire s’ils arrivent à faire se rencontrer des personnes qui ne se connaissent pas ?

F.A. : En effet. Si dans le jardin des couples se forment, alors qu’ailleurs ils ne se seraient pas formés, cela fait partie du projet.

(Rires)

F.A. : Dis comme ça, cela peut paraître extravagant, mais vous savez, à côté d’ici il y a un grand jardin public, un parc de plusieurs hectares, et dans ce parc il y a deux zones réservées aux chiens où ils peuvent être laissés en liberté. En général, ces chiens sont avec leur maître…

V.L. : Ou leur maîtresse.

F.A. : Et leur maîtresse, merci Vincent. Nous le savons bien, les propriétaires de chiens entrent facilement en conversation les uns avec les autres, tout comme, les parents le savent, dés lors que l’on se promène avec son enfant, on entre plus vite en contact avec un autre parent. Ce sont des situations passives : l’enfant, le chien, ne se constituent pas dans le monde comme un objet devant favoriser la relation entre une mère, un maître et un inconnu. Dans Les 101 dalmatiens, c’est ce qu’ont fait les chiens. Si nous étions dans cette logique-là, éventuellement des robots auraient un comportement spécifiquement orienté pour que la relation entre les usagers du parc soit favorisée.

V.L. : Du fait qu’ils existent, les personnes risquent de se retrouver devant eux et en parler.

F.A : Tout à fait. Mais en parler d’une certaine manière, car si on se réunit autour d’un combat de coq, d’un match de foot, ou d’un système de marivaudage, finalement nous ne sommes pas pris dans les mêmes réactions, dans le même discours.

V.L : Quelle est l’idée pour que le public vienne et puisse marivauder ?

F.A. : C’est la grande question.

Isabelle Delatouche (I.D.) : Déjà, le fait qu’il y ait des objets mobiles fait déjà un bon sujet de conversation pour le public et les usagers du jardin.

F.A. : Aujourd’hui, en effet.

Hugo Verlinde (H.V.) : Et puis il y a la dimension fonctionnelle. Le luminaire semble se transformer en parasol en pleine journée et suit les personnes pour leur proposer de l’ombre. J’imagine que cela se passe ainsi pour les autres objets ?

F.A. : Oui, la poubelle est supposée s’approcher si l’on souhaite jeter quelque chose.

Zoé Artuis (Z.A.) : Puisqu’on parle de théâtre, est-ce que chaque objet serait comme un personnage, avec son propre caractère ?

F.A. : C’est un paramètre important que tu soulèves : ces objets rendent des services assez triviaux : jeter, s’asseoir, protéger de la pluie ou du soleil, éclairer. Ce que l’on peut imaginer, par le biais du travail des designers, ce sont les autres services liés à la vie contemporaine. Borne Wifi, systèmes d’information sur les transports en communs alentours, etc.

Ce sont encore des idées basiques, mais on peut les multiplier. Je pourrais par exemple recharger mon IPhone sur le banc, ou encore écouter ma musique via des petits hauts parleurs etc. Les designers vont développer toute la complexité de services que peuvent offrir ces robots.

Dans le moteur d’expression, il y a à mon sens tous les services que peuvent rendre les robots : ils peuvent s’exprimer vis-à-vis des usagers en leur faisant par exemple comprendre qu’ils peuvent lui laisser leurs déchets, mais qu’à la fois le robot peut donner les horaires de bus, charger un téléphone,etc. Cela correspondrait au moteur d’expression du robot.

Ce même moteur d’expression se rend disponible au moteur de comportement du robot. Un robot en phase de séduction offrira ses services alors qu’un robot vexé et boudeur va non seulement éviter les personnes, mais lorsque quelqu’un s’en approchera, il se fermera sur lui-même, peut-être même qu’il dira des mensonges… Les services rendus ont le statut de système d’expression du robot.

Il y avait eu l’idée que les robots puissent alerter sur le passage des bus alentours. A mon sens, cela ne constitue pas le comportement du robot, mais bel et bien un service à disposition du moteur de comportement de ce dernier, manifestant qu’il est en phase de séduction, d’empathie, ou au contraire en phase fâché, frustré, et qu’il se replie sur lui-même : il ne donne alors plus l’information.

V.L. : Les urbanistes vont-ils aimer l’idée que des objets fonctionnels opèrent au grès de leurs envies ?

Z.A. : Il faut prévenir les usagers à l’entrée du parc que ces robots ne sont pas des robots.

(Rires)

F.A. : Je pense que nous n’aurons pas besoin de prévenir, nous fonctionnons déjà comme ça. Nous avons tous vécu le coup de la machine à café ne fonctionnant pas. On s’énerve et on lui tape dessus, si on ne l’insulte pas, parce que l’on pense qu’elle est conne ou malhonnête.

Cet exemple banal simplement pour dire que l’on personnifie rapidement les choses. Nous sommes constamment dans la projection. Etant donné que les robots auront d’emblée cette posture-là, les gens vont comprendre, je n’ai aucun doute là-dessus. Tu demandais tout à l’heure quelque chose d’important…

Z.A. : Est-ce que chaque objet est un personnage ?

F.A. : Oui, c’est une question importante. Mais avant cela, il faut déjà se demander quel est le sexe des robots, car dans Marivaux cela trouve un écho, puisque l’homosexualité n’existe pas. Donc, il s’agit de définir les sexes.

Mais nous avons trois types de robots. Ainsi, faudrait-il définir un genre… et c’était pour moi intéressant de trouver les réponses à ce problème dans le théâtre de Marivaux. David Ferré m’a beaucoup aidé pour cela et j’ai remarqué une chose non explicitement dite dans Marivaux : dans les histoires d’amour de son théâtre, le sexe y est finalement indifférent. Les histoires d’amour peuvent arriver de la même manière que l’on soit un homme ou une femme.

Au départ je cherchais des ‘characters’ au sens américain du terme, des figures, des personnages. Avec Le Petit Chaperon Rouge j’avais ainsi attribué à chacun des robots un rôle : le loup, le petit chaperon rouge et le chasseur.

Toutefois, en analysant le théâtre de Marivaux, nous arrivons à une conclusion différente. Certes, de prime abord on tombe sur Arlequin, que l‘on retrouve d’une pièce à l’autre. Mais il n’est finalement qu’un vestige de la commedia dell’arte dont provient Marivaux. Arlequin est resté tel quel, mais les autres personnages, aussi nombreux qu’ils puissent être, ne sont pas spécifiés dans le rôle qu’ils joueront.

Une histoire se déroulant à partir d’une action d’un personnage vis-à-vis d’un autre est indépendante de ce qu’est l’autre. Il est par exemple impossible en lisant le texte de savoir pourquoi quelqu’un tombe amoureux de quelqu’un d’autre. Nous pourrions dire qu’il s’agit des nécessités de l’histoire, qu’il doit bien y avoir des histoires d’amour.

Mais dans le cas de Marivaux, il y a une autre épaisseur à considérer. Il semble que pour lui, il est indifférent de savoir si on est un homme, une femme, un maître, un serviteur etc. En tant qu’être humain, n’importe quel désir de relation peut naître envers autrui.

Le XVIIIe siècle représente le temps de la bascule vers la psychanalyse et la révolution. Et Marivaux notamment y met au jour qu’en tant qu’individu, nous sommes tous égaux, et dans ce sens, il peut m’arriver la même chose qu’à n’importe qui. Peu importe de savoir de qui l’on tombe amoureux, ce qui compte est bien que soi-même on tombe amoureux. Tomber amoureux n’est qu’un mécanisme de découverte de soi-même.

Ce qui n’arrivera pas dans l’installation est que deux robots d’un même genre tombent amoureux. Comme nous l’avons expliqué précédemment, ce n’est pas une donnée du théâtre de Marivaux. Ici, nous sommes dans un prototype, mais le projet vise à avoir trois cents robots dispersés dans un parc ou jardin public, et des relations vont se nouer entre ceux-ci.

Le fait que les objets ne s’attachent pas au même genre entre dans la logique du service : en supprimant la possibilité de deux bancs côte à côte ou deux poubelles, cela favorise une correcte dispersion du service. Un usager installé sur un banc peut ainsi voir une poubelle « draguer » le dit banc, et sera peut-être satisfait de pouvoir jeter ses déchets, demander les horaires des transports, etc. Cela construit un ensemble de services cohérent. Si l’on tombe sur un couple de poubelles cela n’est pas très utile car une seule suffit pour un usager.

I.D. : Quel est alors le facteur déclenchant la relation entre deux robots ? A quel niveau cela se joue-t-il ?

F.A. : Vous vous souvenez du moteur d’expression et du moteur de comportement ? Et bien, ici nous allons essayer de distinguer deux niveaux dans le moteur de comportement: un niveau de conscience et un niveau d’inconscience. Sur le plan de la conscience, ce sont les décisions prises qui émergent et si le robot décide de ne pas rendre un service, cela se situe à ce niveau même.

Lorsqu’un robot perçoit une cible, qu’il s’en approche et tombe amoureux, cela correspond aussi à une activité de sa conscience. Toutefois, cela n’explique pas pourquoi il tombe amoureux. Et c’est là que j’ai inséré cette idée d’inconscient du robot, correspondant à sa libido. Ainsi, il s’agit d’un « appétit » de la vie, des autres, variant de fort, moyen, à faible voire inexistant.

La manière dont la libido influe sur le comportement du robot réside dans son niveau même d’appétit : par exemple, si un robot repère une cible et s’en approche, il en tombera amoureux seulement si son niveau de libido est élevé.

Sans doute que si le robot tombe amoureux, des actions s’enclencheront après ce coup de foudre. Peut-être que le robot amoureux suivra l’autre partout dans le jardin, le collera, sera jaloux dès que quelqu’un s’approchera et l’évacuera un maximum. Ainsi, il existerait tout un mode pouvant faire que les robots se fâchent.

Imaginons qu’un autre robot du même type s’approche un peu trop de l’autre ou que les usagers jettent leurs déchets dans l’autre poubelle. La poubelle pourra faire preuve d’insatisfaction, de colère et de jalousie. Finalement, la poubelle « s’effondrera » psychologiquement et partira s’isoler dans un coin du jardin.

En revanche, un robot dont le niveau d’appétit est intermédiaire tentera simplement d’être ami avec un robot ciblé. L’amitié est un autre niveau de décision et d’actions entreprises vis-à-vis de l’autre robot. Par exemple, le robot peut faire en sorte que l’autre ait le plus d’amis possible.

Une fonction importante reste : dans le théâtre de Marivaux les êtres ne se cherchent pas uniquement par leur propre action l’un envers l’autre. L’essentiel s’y fait par l’entremise des autres, et c’est d’ailleurs ce qui fait penser à beaucoup de personnes que c’est un théâtre de la manipulation, du mensonge etc. Cette question de l’entremise est cruciale.

À l’inverse, si le robot a une libido assez faible, et qu’il erre comme une âme en peine, ce dernier circulera à côté des cibles, sans être gêné, mais il ne cherchera pas à les atteindre. Et si le robot est complètement effondré après une histoire épouvantable avec un autre robot, il se tiendra à distance maximale de tous les robots possibles.

Si on se pose la question du service, cela ménage la répartition matérielle dans le jardin. Les robots ne vont pas tous servir un même usager, vous imaginez trente poubelles se ruant sur la même personne ? C’est Hitchcockien, ce n’est plus « Les oiseaux » mais « Les robots ».

(Rires)

F.A. : C’est une situation non envisageable avec le système choisi, car dans l’accumulation, les robots seraient en conflit, jaloux les uns des autres, et ils se chasseraient. Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a un système de convection automatique, endogène au système. Cette convection sociale fait en sorte que le robot se rapproche d’un autre robot ou d’un usager, mais qu’il peut tout autant s’en éloigner.

Maria Cosato (M.C.) : Je voulais te demander comment ça se passe pour la cible ? Pour les robots, leur cible possède certaines caractéristiques ? J’aimerais sentir comment se fait le choix établit par le robot. Cette cible, est-elle dans les « gènes » des robots ?

F.A. : Il y a deux niveaux de réponses : techniquement, Didier commence à travailler là-dessus. Nous n’allons pas le développer ici, mais en tout cas l’idée importante reste la capacité du robot à identifier son environnement.

Par exemple, est-il capable d’identifier si un usager est un homme ou une femme. Aujourd’hui, la réponse est non. Si j’avais dû sexuer les robots, cela aurait été rédhibitoire, car j’aurais été obligé d’assumer un discours sur l’homosexualité.

Ce qui n’est pas présent dans Marivaux. Mais puisque les robots ne sont pas sexués, ils ne sont jamais dans une relation homosexuelle avec un usager, car celui-ci est nécessairement d’un autre genre – le genre humain, en l’occurrence–.

Dans la question que tu poses il y a l’enjeu de la détection. Supposons que le robot soit capable de faire la différence entre un humain et un robot, un humain et une poussette, qu’est-ce que cela sous- tend ? Est-ce un homme ? Une femme ? Un jeune ? Un vieux ? Cela reste très compliqué en terme de niveau de détection nécessaire et pose des difficultés majeures.

Aujourd’hui, nous sommes loin de maîtriser cela. Différencier chaque élément reste à faire et ce sera déjà une belle avancée que de distinguer un luminaire d’une poubelle. J’espère que l’on va y arriver…

Les capteurs auxquels nous avons accès n’autorisent pas de solutions si simples, surtout dans un jardin public. En effet, si nous nous installions dans un laboratoire en lumière constante, la donne serait différente.

V.L. : Ne vont-ils pas communiquer entre eux ?

F.A. : Certes, communiquer, mais pour se dire quoi ?

V.L. :  » Je suis là.  »

(Rires)

F.A. : Ce n’est pas une plaisanterie ce que je te dis là.

V.L. : Oui j’entends bien.

F.A. : Supposons que les robots communiquent. Lorsqu’un objet se rapproche d’un autre objet, les moyens qu’a le robot de le percevoir repose par exemple sur des capteurs de proximité. Ainsi, dans le système, un signal alerte de la présence d’un tiers dans une zone de proximité, afin que le robot réduise sa vitesse. Il s’adapte ainsi doucement à son environnement et ira même jusqu’à s’arrêter si c’est trop encombré.

Dans la relation aux usagers, il est important que ce soit du robot que cette démarche émane, car si une personne ne voit pas un robot, ne serait-ce qu’en se retournant il peut y voir un accident.

Les technologies avec lesquelles nous travaillons ne sont pas en mesure de permettre d’anticiper une collision entre deux objets mobiles, ou en tout cas d’identifier que tel usager se situe sur une trajectoire de ce type. En revanche, le robot est capable de détecter s’il va entrer en collision avec un obstacle sur une trajectoire directe.

Ce qui est beaucoup plus compliqué, c’est lorsqu’un robot est en mouvement : il perçoit un élément en mouvement tout comme lui, mais doit calculer que si les deux continuent de la sorte ils entreront plus tard en collision.

Ce que nous sommes capables de faire en tant qu’humain est l’anticipation de ce qui peut arriver en voyant les faits et gestes de quelqu’un. Ce genre de détection de trajectoires est très compliqué à réaliser dans le cas d’une détection hasardeuse et c’est ce à quoi nous sommes confrontés.

Ici, la question du genre n’est pas encore résolue. Il y a une caméra implantée dans chaque robot, orientée vers l’avant. Mais c’est compliqué à gérer, puisqu’il faut raccorder ces paramètres de vision aux propres déplacements du robot et aux aléas de la situation, alors que d’autres usagers passent leur temps à se mettre entre lui et la cible.

Ainsi, le robot perd sans cesse de vue sa cible et doit la retrouver. Rien que d’arriver à discerner une poubelle d’un usager, ou d’un lampadaire, nous ravira lorsque nous y parviendrons. Nous pourrions doubler cette détection via la vision par un signal wifi ou radio, mais le problème c’est que le système radio est multidirectionnel et ne donne pas aisément d’indication de distance.

V.L. : Si le robot est doté d’un système de géo-localisation, ce n’est pas possible ?

Didier Bouchon (D.B.) : On passerait alors dans un système très cher, d’autant plus compliqué car le public se balade au milieu de ces robots et ne serait pas dans le système. Le GPS n’est de toute façon pas assez précis.

F.A. : Le seul système que nous aurions pu avoir était effectivement cette géo-localisation par GPS et que chaque robot dispose de la carte du territoire en question avec la position des autres, ce qui serait revenu à élaborer un schéma artificiel de « télépathie ». Ceci aurait était de la tricherie par rapport à un mode d’être au monde.

D.B. : Cela pervertirait le comportement.

F.A. : Oui, c’est ça, car nous essayons de mettre en place des robots ayant une conscience de l’autre. L’enjeu du comportement du robot est qu’il paraisse cohérent à celui qui le regarde. Si, en tant que robot je me manifeste à Vincent, cela implique que nous entrons en relation l’un avec l’autre.

Or, si je développe mon comportement de robot en fonction du fait que je sais que cent mètres plus loin un robot est en train de faire quelque chose, cela restera incompréhensible pour Vincent, car lui n’aura pas connaissance de ces faits au moment dit. Ou alors, il faudrait qu’en tant que robot je lui dise « oh ! Je sais qu’au fond du jardin ma poubelle chérie est en train de se faire draguer par un lampadaire, donc il faut que je te laisse cher usager pour aller gérer cette situation. »

Tout le problème n’est pas tant dans la cohérence du comportement autonome du robot, mais dans ce que comprendra l’utilisateur de cette cohérence. Donc, si le robot se comporte de manière incompréhensible, cela produit un effet inverse ou en tout cas difficile à contrôler du point de vue de la conception.

V.L. : Sauf que tu peux décider que la carte de l’ensemble des objets à l’intérieur du territoire échappe au comportement. Disons que le robot peux avoir besoin de savoir ce qu’il se passe à deux mètres autour de lui, mais le reste il peut peut-être le laisser de côté.

D.B. : Le fait d’avoir une vue d’ensemble change vraiment la donne sur l’influence en cascade.

F.A. : De toute manière, pour l’instant ce n’est pas une solution, nous ne pouvons pas nous le permettre. Pour ceux qui utilisent un GPS, on voit que cela fonctionne, mais pas au demi mètre près.

Ce que je ne trouve pas inintéressant dans ce dispositif, c’est cette difficulté à ne pas pouvoir se baser sur ce que l’on perçoit et ne finalement pas y donner de réponse. Il est difficile dans ce type de création de décrocher d’un mode de fonctionnement basé sur ce que l’on perçoit. La relative cécité des robots oblige à penser beaucoup plus la qualité de leur comportement.

D.B. : On pourrait donner l’exemple ici de la détection d’une personne immobile. Nous ne pouvons pas le faire, car il s’agit d’une image mobile à partir du moment où le robot se déplace. Même à l’arrêt, nous obtenons une image où le robot perçoit des images en mouvement, mais ne peut distinguer un humain immobile.

Il pourrait essayer de détecter des visages, mais à ce moment là rentre en compte le profil, le dos, etc. et cela reste très compliqué. En mouvement, tout devient compliqué.

Mais, nous allons trouver d’autres procédés et façons d’interagir avec les usagers.

F.A. : On additionnera des « combines » car de toute manière c’est toujours comme ça que cela fonctionne. Mais, ce qui reste important, c’est que le système comportemental du robot soit clairement établi, sinon l’attitude du robot demeure une addition de solutions opportunistes.

Z.A. : Est-ce que des systèmes similaires à ceux de l’armée telle que la détection de chaleur humaine est envisageable ?

D.B. : C’est très cher.

F.A. : Ce n’est pas seulement ça. L’été, dans un jardin public, il y a tout un tas de matériaux qui sont à la même température que le corps humain. Nous avons eu exactement ce problème avec Didier lorsque nous avons présenté l’installation Viens danser de Catherine Langlade en Corée, celle-ci fonctionnant avec une caméra thermique.

Je pensais situer l’installation sur la pelouse pour l’avoir en fond d’image de détection, pensant que cette pelouse serait relativement insensible aux variations de températures. C’était l’idée que j’avais, après fait un essai sur une pelouse avant de partir, sauf que nous n’avions pas fait attention que ce jour là il faisait un temps un peu gris.

Arrivés en Corée, il faisait très beau et cela a posé un sérieux problème car le soleil chauffait la pelouse à une température similaire de celle du corps humain. Ainsi, lorsqu’un spectateur se présentait à l’œuvre, il n’était pas distingué.

Il est vrai qu’il peut y avoir des solutions, et nous en aurons davantage au fil du temps.

Nous avons parlé du kinect supposé distinguer la présence des corps, or un kinect n’est pas censé fonctionner au sein d’un robot vibrant au grès de ses déplacements.

L’un des systèmes propre au kinect est qu’il envoie des rayons infrarouges et observe comment ceux-ci se répartissent dans l’espace. Le kinect fonctionne dans l’obscurité ou en lumière d’intérieur, il demeure problématique en plein soleil puisque s’opère un conflit de rayons si je puis dire, le soleil émettant lui-même un large champ de rayons infrarouges. Cela revient à éclairer par exemple un jardin en plein jour à l’aide d’une lampe de poche.

Je suis ainsi véritablement obligé de réfléchir au comportement même du robot pour que ses actions fassent sens – malgré sa relative cécité – dans sa relation aux usagers.

Il y a plusieurs paramètres : la libido définit par exemple quels types de décisions le robot prendra,

mais peut aussi avoir une influence en continu sur chacun des niveaux de décision. Précisons la chose : un robot arrive devant un autre robot, et selon son niveau de libido, il en tombe amoureux ou ami. Jusque là, cela reste binaire et simple. S’il est amoureux, il aura tel type de réaction vis-à-vis de lui et s’il est ami ce sera tel autre type de décisions.

Ce qui est plus compliqué reste le niveau continu de la chose, c’est-à-dire qu’ils commencent par être amis, puis qu’un événement ou incident se passe en son sein, et qu’ils tombent amoureux. Ensuite très amoureux, moins amoureux, puis finalement ennemis etc. Toute cette morphologie d’une relation est compliquée à mettre en place.

Sana Mouhda (S.M.) : Ne serait-il pas plus simple de concevoir une scène virtuelle en attendant que les capteurs soient plus poussés ?

F.A. : Je ne peux plus expliquer cela à Cap digital.

(Rires)

F.A. : Ils nous ont financés, alors il faut faire les robots.

S.M. : Ce serait plus simple de le faire virtuellement.

F.A. : Je plaisante un peu dans ma réponse, mais il faut dire une chose : le problème nous l’avons à l’identique dans ce que tu suggères. Pour l’identification ce serait plus facile. Encore que. Mais, en l’occurrence, ce n’est pas du tout l’objet ni le projet.

J’ai eu cette idée en 1999, et nous savions déjà faire certaines choses. Mais, il n’était pas envisageable de se lancer dans la réalisation de cette pièce. Douze ans après, cela est envisageable – dans une certaine mesure – de concevoir un prototype démontrant les enjeux de la pièce. Par prototype j’entends une pièce en fonctionnement, circulant au milieu d’un public non averti. On nous a prévenu qu’il était très rare que des robots évoluent librement dans un milieu mixte (robots et humains).

Aujourd’hui, énormément de systèmes robotisés sont à notre service, et ce, au quotidien. Dans l’industrie, les fonctions de stockage dans les grands entrepôts sont souvent réalisées par des robots. Les seuls humains entrant à l’intérieur de ces situations de présence mixte avec les robots sont ultra formés, un important apprentissage entre en compte. Or, ici, il s’agit d’un système dans lequel ces robots évoluent au contact des humains qui ne sont pas « formés ».

D.B. : Il ne faut pas attendre d’avoir une perception parfaite pour concevoir le comportement. C’est même intéressant d’avoir des perceptions avec défauts, car des comportements peuvent être instructifs au travers de ces défauts. D’ailleurs, nous même nous avons des imperfections : nous avons des illusions d’optique, des aberrations.

F.A. : Nous pouvons croiser dans la rue des personnes que l’on connaît sans pour autant les reconnaître sur le moment…

(Florent présente un tableau indiquant les caractéristiques des comportements des robots.)

Je vous montre maintenant les outils que je tente d’utiliser. N’hésitez pas à intervenir, les commentaires seront les bienvenus. Le problème reste que l’on ne peut pas passer en phase création si nous n’avons pas de systèmes pour échanger et collaborer entre nous. Et en même temps, puisque ce système n’a pas encore été inventé, j’essaie d’avancer en essayant de ne pas m’emprisonner dans un formalisme, formalisme qu’il faudrait fixer le plus tard possible. Une remarque au passage, en matière de formalisme, je m’en tiens aux schémas en 2D, parce que je ne peux pas facilement faire un système en volume, en  » 3D ».

La question de base demeure : que peuvent faire les robots ? Quelles sont leurs actions de base ? Je suis allé voir des pièces de Marivaux, et il y a d’ailleurs des didascalies permettant de situer certains éléments, humeurs, costumes.

Du reste, dans une pièce de Marivaux les personnages bougent beaucoup, ils circulent, à la différence d’autres pièces plus minimalistes telles que Oh les beaux jours de Samuel Beckett – pour prendre une extrême. Dans Marivaux, les personnages circulent, d’abord pour cette question d’entremise. Ils se rapprochent, s’éloignent, s’enfuient, se contournent. De fait, gérer la circulation des robots reste un élément important à maîtriser.

Il y a aussi les attitudes : les robots pourraient changer de couleur, se voir augmenté de lumière, de sons, de vibrations, tout ceci pouvant contribuer à la palette d’expressions des attitudes du robot, telles que son contentement, mécontentement, sa tranquillité ou son énervement.

V.L. : Ils pourront parler ?

F.A. : Je préférerais qu’ils ne parlent pas. Si nous installons comme contrat de lecture l’échange oral, cela nous positionnera dans bien autre chose. D’abord parce que l’on va se retrouver avec le problème des capteurs, c’est-à-dire de la perception de la parole difficile à contrôler, surtout en milieu ouvert. Cela donnerait un brouhaha dans un brouhaha.

Cette position peut se présenter comme un paradoxe, puisque justement, Marivaux, c’est aussi la langue. Nous sommes en pleine virtuosité rhétorique, dont la sophistication atteint, ici, un point culminant, car n’oublions pas que nous sommes au XVIIIe siècle. Ainsi, cela peut paraître contradictoire avec le fait de dire que ces robots ne parleront pas.

Toutefois, la rhétorique ne touche pas seulement le domaine du langage, ce peut-être à la fois une rhétorique architecturale, picturale, vestimentaire aussi. Donc, peu importe dans quel système rhétorique ils se situent, il faut qu’il y en ai un qui soit sophistiqué.

Etant donné l’absence même du langage, nous passerons par d’autres équivalents tels que des jeux de lumières, des gazouillis, ou autre chose dans leur apparence formelle, excepté les gestes puisqu’il s’agira de leur circulation. Ce qui sera important, c’est que les designers trouvent une solution en terme de système rhétorique employé.

V.L. :Il n’y aura pas de mots?

F.A. : Non.

V.L. : Ils ne peuvent pas s’envoyer des codes QR et même aux usagers ? Je dis ça car dans le théâtre le rapport aux individus reste très lié à la parole.

F.A. : On pourra le faire sur le plan de la relation robot à robot. Peut-être y aura-t-il des choses imprononcées, mais sans doute as-tu raison, cela reste propre à une limite du projet.

Une personne dans l’assemblée : Je ne suis pas tout à fait d’accord avec ça, car si les comédiens s’adressent seulement des mots, alors ils sont faux. Pour faire travailler un comédien et que son jeu sonne juste il faut d’abord que cela provienne d’un corps ou d’une âme – la dualité n’est pas importante – ou d’une situation. Il faut qu’il déplace des chaises pour aller dire « je t’aime » à son compagnon de jeu. C’est souvent ce type de contexte qui fait naître le mot. Le mot en lui-même ne valide pas grand chose sur le plateau. C’est pour cela que je pense que l’échange des robots peut être d’autant plus intéressant sans la langue. Je trouverais ça plus proche de Marivaux, plutôt que si le robot se mettait à parler.

V.L. : Oui, mais à la fin il y a tout de même des mots.

Cette même personne dans l’assemblée : Oui, parce que pour le public c’est cela même qui va donner le sens, alors que dans une installation artistique située en extérieur ce ne sera peut-être pas le mot qui sera le plus signifiant.

I.D. : Je ne sais pas si vous avez vu l’adaptation de Marivaux d’Abdellatif Kechiche ? Son film L’esquive, déplace une pièce de Marivaux sur la scène même de la banlieue, avec des comédiens qui parlent beaucoup, mais bien souvent il faut des sous-titres car nous comprenons à peine ce qu’ils disent, ce qui n’est absolument pas gênant.

On est dans Marivaux, et c’est cela même qui est impressionnant, c’est que même déplacée, l’histoire entre ces jeunes gens demeure du Marivaux. Et cela, de façon physique, fonctionnant sur les expressions du visage, sur le corps, sur les non-dits.

V.L. : Ils parlent beaucoup quand même, échangent.

I.D. : Oui, mais ce n’est pas tellement ça qui compte. C’est bien plus la tonalité, la virulence ou la douceur de ce qu’ils se disent qui tient que le verbe lui-même.

F.A. : Une autre chose qui a été extraite du théâtre de Marivaux est que les maîtres s’expriment par le langage alors que les serviteurs s’expriment par le corps. Ainsi, la parole se définit comme l’attribut du pouvoir ou de l’ascension sociale.

D’ailleurs, dans L’esquive cette dimension est traitée. Et c’est ce que l’on dit des jeunes de banlieue et de leur marginalisation qui est une reconstitution de ce clivage. On pense qu’ils peuvent parler comme ils le souhaitent, mais reste que, celui qui maîtrise la parole dans la société maîtrise le pouvoir. Y compris dans les sociétés africaines tribales, où l’on convient que le pouvoir du chef est à celui qui a la capacité de parler à tout le monde. C’est celui qui maîtrise la parole, qui apaise les conflits, met à jour les problèmes et essaie de trouver des solutions.

Dans mon système, je dois restituer cette chose-là, à savoir la hiérarchie entre les deux systèmes d’expression représentés par la parole et le corps : gestuelle, mimique, circulation des corps etc. Il faudra reproduire ça, mais le langage du robot reste assez facile. Si je reviens à mon plan, ce qui est envisagé est de ne pas tous les faire avancer à la même vitesse, ni même de la même manière.

Z.A. : Il y a une question que je me pose : les robots étant des acteurs, suis-je dans une grande pièce de théâtre lorsque j’arrive dans le jardin ? Que sommes-nous en tant qu’usager-public ? Des acteurs aussi ou des spectateurs ? Nous avons parlé des robots jusqu’à présent, mais en tant que personne présente dans le jardin, est-ce que j’ai la possibilité de me débarrasser d’un robot un peu trop entreprenant ?

F.A. : En tant que personne, on se trouve prit, embarqué dans le jeu des robots. D’une certaine manière, la réponse à ta question est que oui, on est acteur mais pas selon cette terminologie là.

Si je reviens à ce que j’essaie d’expliquer sur les œuvres dotées de comportements autonomes et reprend la terminologie du substrat – le support tangible réalisé par l’artiste pour provoquer la projection dans l’esprit du spectateur – c’est bien là où l’œuvre se constitue.

J’ai besoin du regard du spectateur puisque l’art n’existe que dans la projection qu’il provoque dans l’esprit du regardeur. Si j’en reste à cette description là des choses, et que je me situe dans l’œuvre comportementale, le substrat est pour partie le comportement du robot, mais lequel adresse le comportement du spectateur. Ainsi, le substrat c’est quoi ? C’est, y compris le comportement du spectateur.

Si le spectateur n’a pas un comportement en prise avec l’œuvre, le substrat n’est pas constitué. Donc, dans une œuvre comportementale, on ne peut pas être à l’extérieur et simplement observer. On se retrouverait dans la même position qu’un spectateur se contentant de voir un film uniquement via les photos accrochées dans la vitrine du cinéma. Il pourrait penser qu’il a compris l’histoire, qu’il voit les acteurs et l’ambiance, tout ça à l’aide des images et du texte.

Il est vrai que tout cela est fait pour que l’on ait une impression du film, mais on sait bien qu’en vérité nous n’aurons pas vu le film tant que l’on ne sera pas resté une heure et demi assis, devant, à le regarder. Parce que le substrat n’est pas été constitué par les éléments d’informations sur l’œuvre. L’œuvre comportementale n’est donc véritablement constituée que si en tant que spectateur tu es en prise avec et que ton comportement est impliqué dans le système global du comportement de l’œuvre.

Je ne l’ai pas pensé tel quel immédiatement et je me disait simplement que les robots marivauderaient entre eux. Puis, en tirant sur le fil de cette logique là, je me suis dit qu’il était obligé que les gens marivaudent entre eux. D’abord avec les robots, mais aussi entre usagers.

Si quelqu’un entreprend quelqu’un d’autre – la question de l’homosexualité est transparente – et que ceci est diligenté d’une certaine manière par l’attitude globale du jardin, alors je suis effectivement dans les enjeux de ce dispositif.

Ce que nous n’avons pas beaucoup dit est que, dans Marivaux, il ne s’agit pas uniquement d’une situation où un homme se rapproche d’une femme. Il existe une manière très particulière d’établir une relation dans Marivaux, qui n’a rien à voir avec le théâtre de boulevard. Ca n’a rien à voir non plus avec Les Liaisons dangereuses de Laclos où règne la manipulation, le mensonge, la perversité, des rapports de force qui ne sont pas du tout les enjeux de Marivaux. Ce dernier est bien plus dans la sincérité, la vérité de la relation que j’ai à l’autre, une grande importance est aussi donnée à l’éthique et au respect de l’autre.

Dans Marivaux, la plupart du temps un maître se refuse à imposer quelque chose qui ne serait pas éthique à un serviteur. Et s’il le fait, le serviteur lui rappelle que ce n’est pas bien. C’est une partie importante à mes yeux de ce théâtre.

Les femmes ne se laissent pas non plus maltraiter comme elles devaient bien souvent l’être au XVIIIe siècle. Ainsi, dire que les relations naissantes entre les gens seront du Marivaux, ce n’est pas juste dire qu’un individu va se rapprocher d’un autre. En allant au bout du travail, il faut être capable de faire que ce soit fait selon ces considérations. Comment le ferons-nous ? C’est ce qui est sur la table de travail et donc en cours.

M.C. : C’est important que tu ajoutes cette réflexion car le projet prend une autre dimension.

F.A. : Ce qui est surprenant, c’est que c’est quelque chose qui s’est construit au fur et à mesure. Je ne suis pas parti de ce point de vue là, parce qu’à l’époque je ne le savais pas. Je voulais que ces robots portent un sens poétique, dramatique, ça ne m’intéressait pas de réfléchir simplement au service. Donc le marivaudage semblait correspondre.

Et ce n’est qu’au bout d’un certain temps, en l’étudiant, que les valeurs existantes et propres à Marivaux ont éclairé des erreurs majeures présentes dans les mises en scènes et adaptations contemporaines, qui essaient de mettre en avant des éléments épiques.

Pour Marivaux, les personnages passent par le mensonge comme un expédient et ils en souffrent, ils attendent que le mensonge soit révélé afin qu’il soit en quelque sorte absout. D’ailleurs, je ne vois pas vraiment d’exemple de « cocu », alors que dans le théâtre de boulevard le jeu est basé sur cet effet pivot.

Une fois que l’on a dit ça, c’est intéressant, cela veut dire qu’il faut techniquement réfléchir aux moyens possibles pour qu’un robot ne se retrouve pas trompé par un autre. Il le sera peut-être dans le courant de l’histoire si l’un d’entre eux transfère son affection à un autre. En effet, il sera trompé le temps qu’il comprenne que cette chose-là est en train de se produire et ce, le temps de la reconfiguration.

M.C. : Donc, comme tu l’expliquais à Zoé, on doit jouer le jeu.

F.A. : Oui, on doit être embarqué dedans.

M.C. : Ici, il y a comme une espèce d’acceptation, on donne son accord pour établir la relation. Mais, a-t-on plus tard la possibilité de jouer quelque chose de plus dans cette relation ? C’est-à-dire d’interagir en apportant quelque chose à ce jeu, ce système créé, parce que nous sommes pris dans et dedans, mais qu’on est aussi quelque part passif.

De plus, y a-t-il en tant que promeneur du Jardin des amours la possibilité de se débarrasser d’un robot peut-être trop entreprenant, alors qu’on aimerait être tranquille ? Sans arriver à ce cas extrême, est-ce qu’il y a la possibilité de participer par un geste, une parole éventuellement, pouvant faire évoluer le comportement du robot ?

Tu dis que les robots peuvent se fâcher, mais s’ils sont contrariés c’est bien pour quelque chose ? Aurait-il vu quelque chose à ce moment là de la part de l’usager qui ne lui aurait pas plu ?

F.A. : Il y a trois niveaux de réponses à ça : ce qui est simple à réaliser reste de provoquer une action par un système interactif. Avoir un bouton sur le robot qui fera qu’en appuyant dessus le robot s’en ira pour aller vivre sa vie ailleurs, dans un périmètre où il n’y a pas de monde. Si au final nous avons besoin de cette chose parce qu’on n’arrive pas à s’en sortir autrement, on pourra toujours le mettre, parce que c’est un cas de figure tout à fait pertinent.

À l’opposé, je vais dire que si nous sommes pris dans un système comme celui-ci avec des robots ayant un affect, une libido, etc. et que je suis dans un jardin, je suis alors obligé de jouer le jeu. Donc, la règle c’est non, je ne peux pas les éloigner, je suis obligé de faire avec. Si j’ai une poubelle qui se frotte contre moi dans le jardin et bien c’est comme ça. Et si ça ne me plaît pas je serai obligé d’aller dans un autre jardin.

Finalement, ce type de situation, on y est habitué. Souvenez vous de l’époque où les gardiens surveillaient que nous n’allions pas sur les pelouses. Parisiens que vous êtes, vous êtes peut-être allé au bassin de l’Arsenal à Bastille, une longue pelouse y longe les quais. Lorsque cette pelouse était interdite, c’était absolument désopilant de voir sur une étendue 200 mètres des gens allongés sur l’herbe exceptés sur les 10 mètres avant et après le gardien qui la sillonnait en permanence. Bon, le pauvre, vu le rôle qu’on lui assignait il aurait peut-être fallut mettre un robot à la place, ça aurait eu le même effet.

Ce qui veut dire que dans ce jardin-là on était obligé de faire avec. Donc l’esprit du jardin, ce sera aussi de faire avec, plutôt que de mettre sur le robot un bouton  » va-t-en « .

Après ça, entre les deux, il y a la réponse du service qui est sans doute la plus intéressante à travailler. Il va falloir travailler jusqu’à ce que le comportement des robots fasse qu’on ne soit jamais dans une pesanteur vis-à-vis de ça. Que l’on ait toujours le service dont on a besoin à portée de main et qu’on n’ait jamais le besoin de demander aux robots de s’en aller. Parce qu’ils l’auront compris d’eux-mêmes un peu avant.

Comment ? Pas parce qu’ils auront projeté des électrodes dans la tête des usagers, mais je vais prendre un exemple simple : je m’assoie sur un banc et commence à manger mon sandwich. Quelques minutes plus tard, j’ai fini mon repas et vais devoir jeter le papier d’emballage. Ce sera bien à ce moment-là seulement que j’aurai besoin d’avoir une poubelle à côté de moi.

Peut-être que dans le dispositif la poubelle mettra deux ou trois minutes avant de repérer un banc immobilisé par un usager pour un certain temps, peut-être qu’elle mettra même dix minutes si elle est occupée ailleurs, ou autre. Mais, en tout cas si une poubelle passe devant ce sera peut-être au moment où l’usager aura besoin de mettre quelque chose à la poubelle.

Elle pourra rester un certain temps pour ensuite se lasser de cette relation, à la suite de laquelle elle s’en ira. Elle aura donné ce temps disponible pour que l’on jette des choses dedans. On ne sera alors plus encombré d’une poubelle.

Il est vrai que l’on a très envie d’avoir une poubelle à côté de nous lorsque le besoin se présente de se débarrasser de papiers et autres déchets indésirables. C’est parfois gênant d’aller à plusieurs mètres pour en trouver une. Seulement, une fois débarrassés de nos déchets, nous n’avons plus besoin d’elle et sommes bien heureux de ne pas l’avoir à nos trousses.

Il s’agit donc de réfléchir à ces deux réalités, à savoir un service que j’aimerais avoir et celui qui serait rendu, tout comme à la façon qu’ont de se superposer ce service et le comportement relationnel- amoureux-amical. Le premier par son jeu ordinaire et courant produira une qualité de service mieux adapté. Parce qu’en réalité c’est l’enjeu final de la proposition que de vérifier que le service est mieux rendu comme cela, par tout ce qui paraît être cet aléatoire. C’est ça l’hypothèse que l’on va vérifier.

M.C. : Tout d’un coup, lorsque le service est bien rendu…

F.A. : …Il y a plus d’empathie de la part du public et cela renforce tout le système. On aimera aller dans cet endroit régit par l’amour et les relations interpersonnelles, y compris ses fâcheries ou ses jalousies.

C’est bien sur ce point que je travaille en ce moment, donc si vous avez une réflexion n’hésitez pas. Vous voyez que pour le moment tel que sont décrites ces actions et attitudes, elles peuvent produire des effets.

Le robot connaît différents états ayant un impact sur le type d’objectif à remplir et qu’il se fixe. Les actions et objectifs étant bien de trouver une cible-usager. Et par exemple, si le robot est dans une logique de douleur et de détresse, il ne cherchera pas à constituer un groupe.

B.R. : Ce que tu ne dis pas, c’est quel est le cycle d’évolution de ces états. Comment passent-ils d’un état à un autre ?

F.A. : Je ne le dis pas, parce que je cherche à le définir maintenant. C’est un des dénouements de la recherche. Le jour où cette question sera résolue, le schéma fonctionnel sera beaucoup plus formel.

Mais ici, il y a d’ores et déjà une indication qui est donnée. Finalement, ce qui va faire que je vais passer d’un registre de type de décision à un autre, sera notamment induit par ma libido. Selon que je suis dans un appétit de l’autre, de la vie, ou au contraire dans un manque d’appétit de cette chose là. Et cette même libido est en réalité le produit des effets auxquels je suis confronté.

Ce qui reste paradoxal, c’est que je cherche en tant que robot à identifier une cible parce que ma libido stimule un appétit du monde et que cela m’encourage à assouvir cette faim. Je me fixe ainsi un objectif, et le fait que je puisse ou pas réaliser cet objectif va avoir un effet sur l’état de ma libido.

En réalisant mon objectif, il y a réussite et donc ma libido augmente. Si j’échoue, ma libido va s’amoindrir, peut-être se stériliser, s’épuiser. C’est ainsi que se forme une boucle faisant que l’activité du robot est dépendante de son activité même, telle qu’elle peut se réaliser dans le monde dans lequel il se situe. C’est cela que j’essaie de réaliser.

M.C. : Quand tu parles de robot, tu soulignes vraiment des personnages ?

F.A. : Oui, chaque robot.

M.C. : Ce n’est pas le lampadaire, ni le siège, ni la poubelle.

F.A. : C’est aussi cette dénomination.

M.C. : Oui, alors à certains moments cela mélange la libido avec le service.

F.A. : La libido est bien l’appétit des robots pour le monde. Si un robot n’en a pas, il se mettra en retrait, ne cherchera pas à communiquer. Ainsi, il ne rendra pas de services.

B.R. : Il peut rester indéfiniment dans son petit coin.

F.A. : Exactement. Dans l’œuvre de Marivaux apparaissent les réponses à ces situations. En effet, le désir y est plus puissant que tout et il finit toujours par se régénérer.

Une pièce intitulée La surprise de l’amour présente un maître ayant eu une grande déception amoureuse. Il décide de ne plus fréquenter personne et son valet doit faire de même – ce qui ne lui plaît pas trop. Le contexte de l’histoire fait qu’ils sont obligés de faire un peu de commerce social avec la voisine, qui elle-même a formulé le même souhait. Là vient la surprise de l’amour : ces deux personnages ne veulent surtout pas avoir de relation. Ils se mettent d’accord là-dessus, ce qui les autorisent à se voir plus souvent, pour parler du fait qu’ils sont bien d’accord sur ça et vous imaginez la suite.

Nous avons ainsi la réponse dans Marivaux : celui qui boude verra un effet permanent d’augmentation de sa libido. Finalement, la vie est plutôt un système qui coupe la libido, car celle-ci est une source jaillissante permanente. En tout cas dans l’œuvre de Marivaux, c’est cela que nous comprenons. C’est intéressant, car du coup nous pouvons voir le lien avec la psychanalyse. Marivaux n’utilisant pas du tout le terme de libido – ni de psychanalyse ou d’inconscient, d’ailleurs.

M.C. : C’est donc en fonction de cette libido qu’ils rendront ou pas le service.

F.A. : Oui. Alors on ne peut pas dire uniquement en fonction de cette libido, parce qu’un robot peut avoir un niveau élevé, mais ne trouver aucune personne à qui rendre le service. C’est ça qui est intéressant, et c’est donc à ce moment-là que cette frustration finira par lui couper sa libido.

B.R. : Est-ce qu’ils dorment la nuit ?

 F.A. : On les recharge la nuit.

(Rires)

F.A. : Non, dans l’idéal le système tourne tout le temps.

Donc, vous voyez que je n’en suis qu’au milieu de l’exposé ! Comme c’est moi qui contrôle le temps,j’aurais envie de continuer à parler indéfiniment, mais ce n’est pas très gentil, je pense que j’ai beaucoup dépassé mon temps vis-à-vis d’Isabelle.
Je vous remercie pour vos commentaires.

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