Déballage Catherine Langlade

CORPS COMPLICE

corps complices Linacorps complice oeuvre

Participants
Florent Aziosmanoff, Directeur de la création, Le Cube – animation des débats, Didier
Bouchon
, directeur technique – Le Cube, Hugo Verlinde, plasticien, artiste numérique, Agnès
Caffier
, plasticienne, Florence Cosnefroy, plasticienne, Laetitia Favart, comédienne,
plasticienne, Isabelle Delatouche, animatrice de lecture, littérature contemporaine, Rémi Sohier, développement informatique du projet d’Isabelle Delatouche, étudiant à ATI, Paris 8, Sandryne Commarmond, photographe, plasticienne, Vincent Lévy, artiste numérique, Maria Cosatto, plasticienne, Zoé Artuis, vidéaste, réalisatrice, Mauricio Montecinos BillekeYasmina Lahjij, assistante de recherche, Le Cube – en charge de la transcription.

CATHERINE LANGLADE
Catherine Langlade est une chorégraphe travaillant l’image sur scène depuis 25 ans. Depuis 2004, elle réalise au Cube des installations invitant le spectateur à la danse. Son travail est basé sur le principe d’une image réagissant à la présence du public, lequel, cherchant à pénétrer le sens de la relation qui s’installe avec l’œuvre, en vient à être dirigé par celle-ci. Il entre alors ainsi dans le projet chorégraphique de l’auteur.

RÉSUMÉ DES ÉCHANGES
Dans un premier temps Catherine Langlade rappelle sa pièce précédente, Viens danser, et pointe notamment la différence notable d’avec Corps complices : le passage de l’univers en 2D à celui en 3D. Différence se faisant aussi bien sur le moteur d’expression que sur celui de la captation et qui permet d’établir une relation différente avec le spectateur s’installant au travers d’une évolution dans la profondeur du plateau.
Sont ensuite évoqués les cycles temporels d’une œuvre de ce type, avec un temps extérieur (celui de la journée, par exemple), un temps intérieur au spectateur (son rythme de relation à l’œuvre) et un temps combinant pour l’œuvre ce qu’elle-même vit dans sa relation aux spectateurs qui se succèdent.
La morphologie des complices est évoquée au titre d’un marqueur possible de leur état interne, s’établissant comme un des signifiants de leur comportement, lequel manifeste les enjeux de discours de l’œuvre.
Il est enfin imaginé la possibilité que les « complices » aient une vie et une évolution propre. A quoi Catherine Langlade répond que c’est l’expérience avec les spectateurs qui provoque précisément cette évolution.

corps complice Shangai expo universelleexpo universelle shangai corps complice

 

Transcription pdf à télécharger ici

Participants

Florent Aziosmanoff, Directeur de la création, Le Cube – animation des débats
Didier Bouchon, directeur technique – Le Cube
Hugo Verlinde, plasticien, artiste numérique
Agnès Caffier, plasticienne
Florence Cosnefroy, plasticienne
Laetitia Favart, comédienne, plasticienne
Isabelle Delatouche, animatrice de lecture, littérature contemporaine
Rémi Sohier, développement informatique du projet d’I.Delatouche, étudiant à ATI, Paris 8, Sandryne Déthier, photographe, plasticienne
Vincent Lévy, artiste numérique
Maria Cosatto, plasticienne
Zoé Artus, vidéaste, réalisatrice
Mauricio Montecinos Billeke, Réalisateur, vidéaste, chercheur en Sciences Humaines. Yasmina Lahjij, assistante de recherche, Le Cube – en charge de la transcription.

Échanges (les parenthèses sont des notes du transcripteur)

Florent Aziosmanoff (F.A) : Nous accueillons Catherine Langlade, qui va nous présenter son installation Corps Complices, laquelle vient dans la continuité d’un travail précédant nommé Viens danser.!

Catherine Langlade (C.L) : Pour une danseuse, l’apprentissage de la danse s’élabore dans une relation au miroir. Omniprésent, celui-ci induit une appropriation de son image parce que le danseur se regarde, se projette vers l’extérieur, pour ensuite intérioriser cette perception.

C’est à partir de cette image que mon travail d’auteur chorégraphe est né et a abouti sur ces deux pièces. Proposant différents états de relation à l’image, le processus d’écriture est étroitement lié à cette image. L’image en soi de cette installation n’est rien sans la danse du spectateur devant, et la danse sans l’image n’est pas non plus lisible.

Cela va au-delà d’un processus d’écriture et met en exergue un travail de perception. Le danseur prend aussi conscience d’un travail dans le temps, et moi-même je me suis déjà retrouvée en face d’un dispositif où une autre relation de corps et de sensation se tissait.

Je vais vous raconter une anecdote. Il y a quelques années, nous élaborions une nouvelle création chorégraphique et nous avions fait intervenir un danseur virtuel avec deux danseuses réelles. Après plusieurs prises d’images pour réaliser le danseur virtuel, le vrai danseur disparut physiquement de notre environnement, son travail étant terminé. Mais pour nous, il restait présent dans l’écriture scénique, au travers de sa projection sur le plateau.!

Toute la chorégraphie se construisait quotidiennement en fonction de ce danseur prénommé Olivier, et chaque danseuse devait construire une relation chorégraphiée avec ce personnage virtuel. Trois mois passèrent et le jour de la première, le réel Olivier, que nous n’avions pas vu depuis trois mois arriva et nous salua, ravi de nous revoir, savourant les retrouvailles après ce temps qui avait été long. Mais nous, prises dans l’habitude de sa « présence » quotidienne nous lui avons répondu un banal « bonjour Olivier » et chacune vaqua à ses occupations.

C’était comme si nous l’avions vu hier, mais en réalité, un décalage de temps nous faisait entendre un autre vécu dans un autre temps, une autre perception induite par cette relation à l’image. Ainsi, plus le temps avançait, plus cette perception et cette relation à l’image me faisaient admettre qu’il était possible d’inventer une relation de corps et une proprioception différente avec une image. Voilà donc un des éléments fondateur de Viens danser.

 

La création de ce que j’appelle un danseur virtuel n’a rien d’anthropomorphique, mais relève d’une intention particulière visant à amener les gens à danser non pas de manière formelle et mimétique, mais à trouver une relation de corps très libre dans leur mouvement.

Lorsque nous avons créé cette installation, il paraissait impossible de générer un type de relation entre l’image et le public sans équiper celui-ci avec des capteurs, des fils, etc. et cela nécessitait au moins deux ou trois PC. Ainsi a-t-il fallu laisser passer du temps pour arriver à faire exister ce lourd projet.

En tant qu’actrice du monde du spectacle, je suis liée à la production de créations annuelles et prise dans des cycles de demandes de subventions. De fait, il faut créer une nouvelle pièce chaque année et si celle-ci a deux ans, elle est très vite considérée comme ‘has been’.

Travailler sur des installations est un grand plaisir et permet développer un travail dans le temps. Je suis une personne instinctive fonctionnant dans le « faire ». Vient ensuite l’analyse. Ce travail dans le temps est donc stimulant.

Pour rappel, Viens danser (2005) est une installation présentée sur un écran de 5mX3m. L’œuvre présente une centaine de méduses blanches sur fond bleu, réagissant à la présence du spectateur.

 

Nous allons entrer dans une analyse un peu technique. A partir d’une analyse optique (webcam ou caméra thermique), le logiciel EyesWeb (logiciel libre conçu à l’université de Gènes) permet de détecter une présence, offrant une perception fine de ses évolutions. L’important était de ne pas avoir de fils ni de capteurs, afin que le spectateur soit libre de ses mouvements.

F.A.: Si deux personnes interviennent devant l’installation, la pièce les considère en tant qu’individu unique. Le public reste le public, et non pas une multitude de personnes.

C.L. : Vous voyez que la petite partie centrale de l’installation se vide de ses méduses, « autour » de la présence et de l’activité du spectateur. C’est important : cela correspond à la kinésphère

(notion empruntée à Rodolphe Laban). Il était crucial d’avoir cet effet de présence. Le public n’est pas « face » à quelque chose, mais se trouve « dans » et « avec », accentué par le fait même que la pièce ouvre le champ et laisse la place aux évolutions du spectateur. Nous verrons dans la version suivante la disparition de cet effet au bénéfice d’autre chose.!

Dans ce travail de gestuelle libre, nous nous sommes penchés sur des postures spécifiques que j’appelle « RIP » (Réponse Impromptue Partagée) – c’est-à-dire une réponse spécifique du dispositif à certaines postures.
Nous pourrions inclure d’autres spécificités comme sauter, tourner, ou se balancer, qui sont des mouvements inhérents à l’Homme. C’est pourquoi il était important pour moi que cette installation reconnaisse ces mouvements primaires faisables par tout un chacun. Tourner reste un vrai problème pour ce qui concerne la détection, qui peut-être se résoudra en passant par la reconnaissance de visage.

Du reste, il est primordial que l’installation comprenne ces postures le plus largement possible, pour ne pas seulement s’adresser aux danseurs professionnels, qui connaîtraient la grammaire propre de l’installation.

(Catherine exécute une série de mouvements puis s’immobilise)

C.L. : Vous voyez ce qu’elles (les méduses) font lorsque je suis à l’arrêt ? Elles sont toutes à l’unisson. Comme si je disparaissais pour elles.

Je me suis aperçue que la création d’une œuvre numérique est un réel travail d’équipe. Je crois sincèrement que pour une seule personne, élaborer une telle pièce relève de l’impossible. Même si je suis la conceptrice et la directrice artistique de ce projet, il y a un vrai travail d’équipe derrière, tant au niveau graphique, que de l’analyse, ou du son, qui a été créé et spatialisé par un designer sonore.

Actuellement, une musique assez mélodique (cordes) accompagne le public dans son mouvement. Nous avons eu une précédente version faite de bruitages, invitant difficilement les gens à la danse.

Une version encore précédente montrait des araignées à la place des méduses et, pris sous le coup d’une réaction épidermique, le public fuyait plutôt que de s’approcher de l’écran.

Il faut comprendre que pour entrer dans un mouvement corporel, une certaine fluidité audiovisuelle est nécessaire.

Cette installation est arrêtée à ce stade et fonctionne ainsi.

Certaines questions restent en suspens quant à son développement futur, parce que le vocabulaire et la relation que je voulais instaurer n’étaient pas suffisants.

Vous pouvez notamment remarquer un manque de spatialisation, et peut-être avez-vous perçu une absence de relation dans la dimension de la profondeur.!

Une autre question reste à résoudre, à savoir celle de l’écran plat, puisque le mouvement du spectateur se développe à 360°. J’ai eu une proposition pour une salle spécifiquement conçue pour cela, mais malheureusement je n’ai pas pu calquer mon emploi du temps sur le leur et cette expérience ne s’est pas faite.!

Par comparaison avec Corps Complices, Viens danser se définit dans un univers graphique en 2D. Ce problème de spatialisation était à résoudre car en l’état actuel des choses, Viens danser a été faite à partir de petites images vidéo et cela nous était impossible de continuer le développement à partir de ce matériel de base, par nature figé dans la 2D.

Travailler avecEyesWebest très intéressant. Toutefois, les analyses qu’il réalise sont très sensibles à la lumière et donc peu fiable dans son utilisation.

Pour ce qui est de Corps Complices, nous avons perdu la kinésphère et avons gagné la profondeur de l’environnement 3D. Par ailleurs, nous avons une analyse d’image non plus basée sur la forme, mais sur le flux.

Parce que la danse, qu’est-ce que c’est ? C’est du temps, de l’espace, et de la forme. Vient ensuite ce que l’on nomme la dynamique et la qualité du mouvement que l’on peut transcrire en informatique.

Laetitia Favart (L.F) : Nous en avions parlé, mais est-ce que tu pourrais nous dire comment elle fonctionne par rapport à la première ? Ce n’est plus un capteur optique ?

C.L. : Si, c’est toujours un capteur optique (ici, une webcam), sauf que dans la version précédente, nous étions sur une analyse de forme. EyesWeb est proprement lié au spectacle vivant puisqu’il a été développé par des acteurs du monde de la danse, tout comme le logicielIsadora.

Dans Viens danser il s’agissait d’une analyse de forme du « squelette » – mais nous pourrions mettre une chaise, une table, ou autre, il reformerait un « squelette ». C’était attrayant de travailler sur cette analyse car cela permettait d’envisager la totalité du corps, ainsi que le centre de gravité avec ce que j’appelle la « motion », ce mouvement fluide des méduses, ainsi qu’une analyse segmentaire et articulaire.

Ici, au contraire, nous sommes dans un flux. (Catherine Langlade fait apparaître sur l’écran le monitoring de la détection, qui matérialise le mouvement dans l’image par une grille de petits segments jaunes) Lorsqu’il n’y a rien, il n’y a que des petits points, alors que lorsque je bouge, apparaissent des segments qui donnent à la fois la quantité de mouvement et sa direction.

F.A. : Pour être précis sur le système utilisé pour Viens danser, il procède à un isolement de la silhouette, avec un embryon d’analyse morphologique. Il s’agit d’une analyse sémantique, supposée reconnaître le corps. Nous avons pu voir que lorsqu’il y a une quinzaine de personnes face à la pièce, celle-ci ne voit qu’une seule « personne ».

Pour Corps complices, si le public est un tant soit peu dans une cohérence, une réponse puissante du dispositif est donnée à voir. Le nouveau moteur de perception offre à l’installation la possibilité d’être dans une plus grande énergie, notamment en travaillant sur la profondeur de l’espace devant l’écran.

Pour travailler cette profondeur, nous disposons une caméra au dessus de l’écran visant à 45° devant lui. Cette position n’est pas supposée permettre de donner la profondeur de déplacement des spectateurs, toutefois, la positionner ainsi permet de déduire que si quelque chose se déplace vers le haut de l’image, cela veut dire qu’il recule dans le champ. Pour être plus précis, si quelque chose monte vers le haut de l’image, cela peut être pour deux raisons : soit cela correspond au fait que le spectateur lève le bras ou saute en l’air ; soit cela peut être parce que le spectateur recule jusqu’au bout du plateau et sort du champ de l’image.

À ce moment là, il y a une analyse sémantique qui est faite : si tout le mouvement s’en est allé vers le haut de l’image, la pièce suppose que le public s’est reculé de l’écran. Ce qui dicte alors aux complices de le suivre, comme pour aller le chercher.

Lorsque le spectateur s’aperçoit de ce phénomène, il se met à faire des gestes particuliers : avancer et reculer, circuler sur tout le plateau. A ce stade, il s’agit de donner à l’installation une information sur l’évolution dans la profondeur. L’enjeu est de faire faire quelque chose au public et si l’installation suggère qu’il se passe quelque chose dans un certain registre, alors le public ira, et c’est la pièce qui aura créé ce mouvement du spectateur.

Il y a ainsi une projection chorégraphique de l’auteur sur le danseur amateur en relation avec l’installation. Tout l’enjeu de ces installations est d’inviter les personnes à danser.

C.L. : Ce qui m’intéresse dans le mouvement d’aller-retour est que les complices aient une certaine réaction. On créé un langage et un alphabet, utilisés afin d’élaborer certains types de comportements entrés dans la machine, nourrissant la relation avec le spectateur. Ici, le spectateur peut peut-être penser que les complices le suivent ou qu’ils viennent le chercher. Ou encore qu’ils l’attaquent. Il s’agit de développer une grammaire où le spectateur peut suivre et proposer des choses pour que le dispositif puisse être force de proposition.

Il y a plusieurs pistes : j’essaie de réfléchir sur des états biologiques que l’on connaît tous. Le matin, par exemple, nous sommes dans un certain état, alors que l’après-midi ou le soir nous serons dans un tout autre mode. Nos vingt quatre heures se décomposent en différentes phases et l’idée pour moi est de créer des états internes spécifiques à l’installation, que nous pourrions nommer « méta états », générant certains types de comportements, d’expressions et influençant la personne qui est devant.

F.A. : Le son est aussi important. Lorsque la pièce était présentée pendant six mois à Shanghai à la « World Expo 2011», chaque personne amenait sa musique, car il semblait évident qu’il devait y avoir du son. Nous avons eu Corps complices avec tous les environnements sonores que l’on puisse imaginer.

C.L. : J’ai vu la vidéo. Cela étant, comme John Cage l’expliquait, le silence est aussi musique. L’idée est que cette pièce est une invitation pour tout un chacun à venir se mouvoir avec cet environnement. Actuellement, nous y réfléchissons car c’est une clé appréciable et favorable que d’avoir un environnement sonore approprié.

F.A. : Dans Viens danser, il y a un environnement sonore simple, et je pense que cela fonctionne bien puisque que les gens se laissent porter et glisser par le mouvement de la musique. En effet, ils se trouvent déjà dans la musique lorsqu’ils s’en aperçoivent. Ceci résulte d’une symbiose entre le choix musical et le fonctionnement de l’œuvre, tous deux se référant à la cohérence du discours. !

Nous avons relevé que cela fonctionnait moins bien sans son. Ce dernier participe du processus, tout en n’étant ni illustratif, ni décoratif. Il y a d’autres œuvres où le son est plaqué, anecdotique, voir décoratif. Or, le son est bel et bien une dimension à prendre en considération et est déjà en soi un embryon de réflexion. Aujourd’hui, il s’agit d’arriver à mettre à jour la façon dont Catherine l’imagine et pourquoi.

Ici, les complices sont représentés sous forme de boules jaunes dotées de trois pattes souples, circulant sur un fond rouge. Néanmoins, tout est transformable, et ce résultat provient d’un long travail réalisé avec le plasticien Vincent Lecoq.

Vous remarquerez par exemple qu’ils avancent actuellement tous à la même vitesse. C’est un paramètre pouvant éventuellement être utilisé afin d’exprimer une idée.

F.A.(montre différents réglages à l’écran et présente autant de corporéité différentes des complices)

Les complices eux-mêmes peuvent avoir des corporéités différentes, un peu chamallow comme ici (pattes écartées et un peu molles).

C.L. : Tu trouves que ça fait chamallow ? Je trouve que ça fait étoile de mer. !

F.A. : Oui, c’est son côté un peu mou.

(Florent change le mode comportemental des complices)

F.A. : Son côté « acacias »… (Pattes complètement ouvertes et raides).

C.L. : La méduse est à mon sens une métaphore de la danseuse. Didier Bouchon a tenté avec Vincent Lecoq de travailler autour de l’étoile de mer à cinq branches pour arriver à une forme anthropomorphique, mais cela posait un problème technique, en terme de lourdeur pour un calcul temps réel.

Nous sommes toujours confrontés à des problèmes de calcul pour la génération en temps réel. Nous sommes revenus à notre méduse, devenant de plus en plus abstraite et épurée. Il faudrait que la forme graphique naisse du mouvement lui-même…

F.A. : Nous pouvons imaginer plusieurs choses : la corporéité des complices ou leurs méta-états de groupe. Ils peuvent se mettre en ligne, en croix, etc. Ces paramètres ne sont pas encore utilisés car nous ne savons pas quel comportement de l’œuvre ils peuvent manifester. Il s’agit de modes supplémentaires dans un vocabulaire, à l’image d’un enfant qui aurait appris à l’école tout un tas de nouveaux mots. Nous n’avons pas encore défini comment les insérer dans un projet de discours.

Peut-être peux-tu parler de cette dimension, et que vous d’ailleurs, vous posiez des questions et donniez vos réflexions sur ce que ça vous évoque.

L.F. : Il y a une chose que je n’ai pas comprise, ce sont les différentes formes que prennent les individus. Ce serait lié au mouvement que le public fait ?

C.L. : Oui, nous sommes toujours dans cette invitation à la danse. Puisque nous sommes dans une relation de flux, cette corporéité va venir du public et comme nous sommes dans du flux de mouvement, celui-ci est déterminé par du temps et de l’espace.

Quant au temps, nous pouvons être dans un temps continu ou discontinu, en sachant que la valeur de temps que nous allons analyser n’est pas une valeur de temps métré mais, une valeur de temps de durée.

F.A. : Je crois que tu es confrontée à une difficulté majeure que nous avons tous avec ce type d’œuvres, qui est le temps. C’est une clé importante. Il faut penser le fait que certaines personnes peuvent passer deux heures dans un square tous les jours, durant plusieurs années, aux côtés de l’œuvre, ou au contraire pour une autre œuvre, subrepticement, une seule fois, à un feu rouge par exemple, l’espace de quinze secondes.

Il faut envisager ces temporalités, c’est-à-dire ce temps qui peut aussi bien être court, de l’ordre de quinze secondes, jusqu’à un temps plus étiré, comme plusieurs heures tous les jours, durant des années.

En tant qu’auteur, il faut donc penser et créer la relation au temps. Dans le domaine du jeu vidéo, des grilles et des formats ont été élaborés, pour lesquels il devient relativement facile de créer, car ils font appel à des conventions précises.

C.L. : Ici, c’est un problème de choix, puisque pour inviter les gens à danser, nous avons plusieurs types d’analyses se mettant en corrélation. Si nous n’avons que cette analyse de flux avec les petits bâtons que vous voyez à l’écran, cela peut suffire pour une relation relativement brève. Mais, si nous passons tous les jours, alors cela devient légèrement redondant. Donc, en effet, ces méta- états peuvent être une réponse à ce cycle temporel différencié, apparenté à un univers vivant et ayant son propre cycle de vie.

Après, comment se développera t-il ? Pour l’instant, ce sont des états qui pourront être mis en cycle de vingt quatre heures, d’un mois, d’une heure, en tout cas proche d’un comportement biologique. Le matin par exemple, un peu lent, la qualité de la pièce sera d’être douce. L’après- midi serait un temps plus actif où donnant une qualité de comportement autre de l’installation. Enfin, le soir, ce pourrait être une hyperactivité. Ainsi, un état évolutif dans le temps de la journée définirait la pièce.

F.A. : Nous avons introduit ici la question du temps, en la plaçant en relation avec la question du cycle car nous avons l’habitude de vivre dans des cycles. Or, l’enjeu ce n’est pas l’image, et ton travail est justement facile pour expliquer ça, l’enjeu est ce que fait le spectateur.

Le substrat se sera constitué non pas dans l’image, mais dans l’expérience du spectateur.

L’œuvre se reçoit comme on lirait un poème, c’est-à-dire que dans les gestes du spectateur s’élabore la relation avec l’œuvre. Le public repart avec les expériences issues de ses gestes, non pas de l’image.

F.A. : Vous remarquerez que je fais la démonstration ici dos à l’écran, parce que je sais ce qui fonctionne avec cette installation, je l’ai « incorporé ».

Précisément, ce qui compte dans la relation, ce n’est pas l’image en soi, car celle-ci n’a réellement que faire de la manière dont le spectateur se positionne, alors qu’il y en a un pour qui cela fait sens, c’est bel et bien le spectateur. Ainsi, ce que reçoit l’image et ce qu’elle en fait est au final de la technique. Ce qui prime est l’expérience sensible vécue par le spectateur.

Si le public se trouve devant l’installation, mais qu’il ne bouge pas, ce substrat n’est pas reçu comme il se doit. Nous avons fait interagir des personnes en fauteuils roulants avec l’installation. Devant le peu qu’ils pouvaient faire, le substrat s’est quand même constitué à leur mesure. Ce n’est donc pas un problème de performance. C’est un problème de relation.

Le cycle que l’on doit considérer est le cycle de l’expérience du spectateur. C’est de celui-là dont nous devons parler et non pas du cycle d’existence de l’image.

Sandryne Dethier (S.D.) : Je me mets à la place du spectateur : il me semble que je prendrais plus de plaisir si je trouvais un sens dans une espèce de récompense entre le début et la fin. Comprendre quelque chose, qu’il se produise un élément un peu merveilleux. C’est ma façon d’envisager les choses mais si j’invite quelqu’un, que je suis un peu timide devant l’écran, et qu’au final je me libère en faisant des mouvements que je n’aurais pas osé faire, je voudrais sentir en tant que spectateur que quelque chose s’est passé, soit au niveau de la couleur ou au niveau de la forme, comme une sorte de récompense.

Vincent Lévy (V.L.) : Une preuve.!

S.D. : Oui, on peut dire ça comme ça.

C.L. : Il y avait dans Viens danser un état initial avec des sortes d’œufs. Dès que tu entrais dans le dispositif, elles naissaient et se transformaient en méduses, comme une preuve que tu étais perçue.

Mauricio Montecinos Billeke (M.M.B.) : Mais, une des choses qui caractérise ce que tu dis c’est l’évolution d’un état à un autre. Si le temps est court, tu ne l’aperçois pratiquement pas. Tu le perçois comme un changement brutal et tu n’arrives pas forcément à comprendre que c’est une récompense.

C.L. : Cette question de récompense ne m’intéresse pas dans le sens où elle s’apparente aux jeux vidéo, ce qui à mon sens est antinomique avec ce dispositif. Il se passe des choses dès que tu entres dans le dispositif…

F.A. : Puisque nous parlons de l’expérience du spectateur, nous avons quelques images :

(Florent diffuse une vidéo montrant le public en chine se prêtant au jeu de Corps complices)

 

F.A. : Vous voyez cette jeune fille ? Nous lui montrons un tout petit peu comment la pièce marche et elle se met à entrer dans la relation. La récompense, elle l’obtient, car la relation fonctionne. Ensuite, ces deux filles ont compris qu’elles pouvaient essayer de chorégraphier les méduses. Cet autre spectateur, lui, spontanément essaie quelque chose, reconnaît un certain type d’énergie dans l’œuvre, et tente certains mouvements.

C.L. : Chacun peut trouver sa forme de récompense.

F.A. : Ce que vous pouvez attendre est déjà présent d’une certaine manière et pour cela il faut aller au devant.

Zoé Arthuis (Z.A.) : L’idée de Catherine sur le temps est aussi d’apprivoiser le système, car il faut danser un certain temps. Le temps passé avec l’œuvre, le fait qu’elle évolue, cela me paraît aussi logique dans le temps du corps, car lorsque nous dansons, la fatigue se fait sentir, et d’autres choses se jouent. Je pense que ce temps là est intéressant dans le fait que les modules évoluent.
L.F. : Et si les formes évoluaient en fonction de l’état émotionnel ? Lorsque nous dansons, il y a parfois des mouvements qui sont plus lourds, plus vifs et qui pourraient être plus violents ou plus doux. C’est peut être difficile à analyser, mais je me dis que si les complices pouvaient capter ces nuances et se modifier en fonction de l’état dans lequel les gens dansent… Mais c’est peut-être très complexe et sans doute pas ce que tu recherches.

C.L. : C’est une question intéressante. Actuellement, on ne peut pas travailler sur les émotions, à moins de travailler sur une reconnaissance de visage. C’est possible, mais dans notre cas ce n’est pas l’intérêt.

Par le biais de l’analyse de la spatialisation le danseur peut être léger, lourd, etc. Selon une grille d’analyse de l’espace, si le danseur est lourd, il y a une sensation de gravité attirant le corps au sol. Si nous avons une analyse spatiale via une grille, j’aurais moins d’activité dans l’espace supérieur et plus d’activité dans l’espace inférieur. Si je saute, je n’ai plus d’activité au sol mais en haut oui. Si je fais un mouvement balancé, je répète alors dans l’espace de la grille une zone d’activité régulière. Cela pourrait donc induire un certain comportement permettant à la pièce de réagir d’une façon ou d’une autre, et donc de nourrir le dialogue.

F.A. : Il y a donc deux pistes qui se construisent : nous sommes ici dans une morphologie de l’installation où une réaction de celle-ci travaille cette question du miroir dont tu parlais. Il faut bien réfléchir ce sur quoi nous travaillons ; pourquoi cette fonction miroir et comment nous l’utilisons.

Je me rappelle que la toute première phrase et piste de travail avec laquelle tu es arrivée à l’atelier il y a quelques temps était de faire un dispositif qui soit un maître de danse virtuel, qui inviterait les gens à danser puis les guiderait.

C.L. : Je n’ai pas parlé de maître à danser mais d’invitation à danser.

F.A. : Oui. Les « inviter à », voilà, je voulais pointer ça, le fait que ce sont deux choses
différentes.

Florence Cosnefroy (F.C.) : Il y a ainsi plusieurs pistes : le cycle du spectateur et le temps qu’il reste devant l’œuvre ou bien l’expressivité qu’il peut avoir. Mais, il me semble que dans la chorégraphie il y a quelque chose qui n’est pas du tout mis en scène ici. À chaque fois, il y a une population d’individus, ces complices, qui communiquent avec un danseur. Or, dans la danse, il existe des temps importants lors d’un solo ou lorsqu’un couple danse.

La forme du petit individu complice pourrait être différente. S’il est un peu rond, ce peut être parce qu’il est un peu seul. Lorsque les figures sont emmêlées, c’est comme si ça grouillait, comme s’il y avait du monde…

F.A. : Il faut réfléchir à l’effet de tableau tu veux dire?

F.C. : Voilà. Si plusieurs personnes se présentaient devant l’œuvre, cela pourrait se traduire par une forme différente du petit individu, parce que ça ne peut pas se traduire par plus d’individus puisqu’il semble que déjà il y en ait un assez grand nombre. Cela pourrait être que lorsque les gens dansent ensemble, les fils s’emmêlent, alors que lorsqu’ils dansent seuls, les petits bras se rentrent car le complice est dans son intériorité…

C.L. : Oui, tu ne parles pas du tout du nombre, tu parles du comportement.

F.C.: En effet. Le comportement correspondrait au nombre de personnes. S’il y en avait
plusieurs qui jouaient la pièce ce serait la forme qui changerait.

C.L. : Il y a là une difficulté d’analyse, c’est-à-dire que nous ne pouvons pas détecter qui entre et qui sort.

F.C. : Il peut percevoir quand il y a du monde ?

C.L. : Dans Viens danser une analyse permet de détecter l’entrée et la sortie. Or, cela n’existe
pas dans Corps complices. Ce sont des choix d’analyse car nous ne pouvons pas tout faire.

M.M.B. : Nous avons vu qu’il y avait deux jeunes filles qui étaient rentrées et qui passaient au- dessus et en dessous des mains ou des bras de l’autre. Il y avait alors deux dessins totalement différents.

C.L. : La danse est, il me semble, un art foncièrement collectif, que l’on partage avec l’autre. Que nous soyons un, deux, trois peu importe, ce n’est pas l’enjeu, c’est une histoire de choix. Par contre, ce que je trouve intéressant dans ce que tu dis c’est que nous pourrions parfois en voir moins et parfois en voir plus.

F.A. : Vous vous souvenez, un moteur d’expression bien élaboré est important car c’est ce que voit le public. En revanche, ce dernier exprime le comportement de l’œuvre.

Les complices peuvent avancer à une vitesse donnée, mais, celle-ci peut être modifiée. Et vous avez pu voir précédemment les différentes corporéités qu’ils peuvent emprunter. Il ne s’agit pas de tous les faire changer d’état, ni d’utiliser tout ce qui est possible, mais peut-être d’en modifier certains, pour répondre à une nécessité d’expression d’un état interne.

Par exemple : le fait que les complices puissent tourner sur eux-mêmes, avançant en vrille. Dans l’état actuel des choses, le choix a été de neutraliser cette variable. Si nous ne les avions pas du tout fait tourner sur eux-mêmes, ils auraient nettement donné le sentiment d’une rigidité, signifiant quelque chose.

Pour que nous ayons l’impression qu’ils ne tournent pas sur eux-mêmes, mais qu’on n’y pense pas en les regardant, il a fallu les faire tourner lentement en un mouvement sur soi. Décider d’utiliser cette possibilité d’expression qu’est la vrille supposerait de répondre à la question « quel est le comportement qui a besoin d’être exprimé et au service de quel élément du discours ? »

V.L. : Nous pourrions imaginer que chaque petit complice ait une vie particulière avec un développement individuel. Je me demande pourquoi ils doivent changer, évoluer, pour quelles raisons il faudrait qu’ils changent ?

 

C.L. : Pour nourrir une relation entre eux, en créant une grammaire.

V.L. : Cela voudrait dire qu’ils sont des entités, des petites choses vivantes et qu’ils peuvent avoir une évolution propre.

C.L. : Absolument. C’est peut-être plus intéressant et gratifiant qu’ils soient dans une certaine homogénéité de vie de groupe. Je trouve ça plus fort, plus épanouissant et plus lisible s’ils fonctionnent en groupe, tout en ayant des comportements dictés par les méta-états, endossant ainsi leurs propres attitudes.

Par exemple, lorsque quelqu’un sort de l’installation, les complices pourraient aller au fond ou rester au milieu. Mais, lorsque le spectateur s’en va et qu’il n’y a plus rien, ils viennent près de la surface de projection, et ceci correspond à leur propre comportement. Ils donnent une réponse au public – décidé arbitrairement – mais, une réponse existant dans leur vocabulaire.

V.L. : D’une certaine manière, j’aurai envie qu’ils me racontent une histoire, qu’il y ait une évolution, qu’ils aient une espèce de développement interne.

C.L.: Je pense que ça ne racontera pas d’histoire au sens où ils vont proposer leur développement. Tu te raconteras une histoire par rapport à la relation que tu auras. Ce que nous allons développer est que si le spectateur donne un mouvement rapide, l’installation va réagir et peut-être proposer quelque chose. Dans les méta-états dans lesquels elle se trouve, elle aura une autre proposition, mais pour l’instant, ce n’est pas le cas.

V.L. : Pour chacune de ces méduses peut-être que ce serait à toi de raconter leur histoire et que nous les verrons évoluer en tant que tel, car au début, nous les percevons comme des espèces de petites boules, puis elles grossissent, et deviennent triangulaires, faisant ceci ou cela…

M.M.B. : Cela se rejoint, car si la morphologie de la méduse change en fonction du mouvement, c’est aussi une évolution. Cette évolution peut arriver dans un certain cycle où elle recommence. Disons que la méduse en question entre alors dans une autre corporéité. Je veux dire par là que cette évolution du complice est, à mon avis, l’histoire même, ou en tout cas la sienne.

Hugo Verlinde (H.V.) : Nous avons vu l’exposition en situation et la dimension de corps collectif fonctionne bien. Au départ, je les percevais comme un banc de méduses ou de poissons. Je n’avais pas trop identifié la forme des complices, mais c’était à mes yeux un univers marin.

Ce que j’ai aimé, c’est qu’elles léchaient la vitrine quand nous n’étions pas là. Je les voyais comme curieuses de nous, de leur environnement, comme si elles étaient collées contre la paroi d’un aquarium. En m’approchant, je les percevais comme peureuses parce qu’immédiatement
elles se retiraient au fond. Personnellement, cela me donnait immédiatement envie d’être dans un rapport d’apprivoisement avec cette forme.

En essayant des mouvements, j’entrais dans une deuxième strate de la relation, où je me rendais compte qu’elles copiaient mes mouvements, comme dans un jeu de miroir. Ce que je trouve vraiment riche, mais peut-être ai-je projeté quelque chose, c’est que j’ai essayé des mouvements amples pour les voir se reproduire et ce que j’ai perçu, c’est qu’à la fin de mon mouvement, elles avaient aussi une dynamique propre, c’est-à-dire qu’elles me proposaient des choses.

Elles avaient une force de proposition. Je les voyais se retourner et me proposer un mouvement. Il y avait autre chose qui s’amorçait dans la pièce, ce n’était pas juste un miroir. Nous étions en train de danser ensemble.

C.L. : Il s’agissait à mon sens de réaliser un univers évoluant dans son propre système, afin de nourrir une relation libre et non imposée. Si on y réfléchit, entre êtres humains il y a déjà une forme d’apprentissage, car nous nous apprivoisons les uns les autres, restant dans un champ libre et ouvert.

Pour rebondir sur ce que dit Hugo, en danse, un mouvement engrangé ne s’arrête pas. Il ne s’arrête pas à la limite des doigts ou des pieds, mais possède une résonance.

C’est ce que nous ressentons depuis le début avec Didier Bouchon et je trouve qu’il a superbement réussi cette dimension-là. Ce peut être une forme de réponse et dans Viens danser, il y a aussi quelque chose de l’ordre de la résonance, qui à mon sens est très importante et intrinsèquement liée à la danse.

Agnès Caffier (A.C.) : J’aimerais prendre du recul et comprendre les enjeux de cette pièce par rapport à celle d’avant. Je n’ai pas expérimenté cette dernière, mais je me souviens de la première que j’avais sentie comme une vraie belle invitation à danser. J’avais répondu à cette invitation et la récompense avait été là.

Ce que j’ai un peu de mal à percevoir c’est la différence. Est-ce qu’il y a un enjeu différent pour cette nouvelle pièce ? Comment globalement tu te positionnes et qu’est-ce que nous allons en retirer? J’ai bien compris qu’il y avait un jeu sur l’espace, qu’il s’était peaufiné.

C.L. : Nous sommes dans une continuité. C’est un nouveau projet, mais l’enjeu est toujours une invitation à la danse à travers une relation. Comment nourrir le temps de la relation pour faire que le plaisir eut précédemment se renouvelle de manière différente.

L’enjeu est donc le même, à ceci près que le projet diffère sur des points sémantiques et techniques. Nous ne pouvons pas faire abnégation de la technologie et sommes obligés de faire des choix par rapport à la pertinence de ce que nous avons envie de faire.

A.C. : Est-ce qu’il serait possible pour toi d’imaginer un autre postulat que celui-là. C’est une question à laquelle tu ne vas pas répondre tout de suite mais, peux-tu imaginer autre chose qu’une belle invitation à danser qui d’ailleurs fonctionne très bien, il n’y a rien à dire.

C.L. : C’est ma proposition pour le moment.

A.C. : Peut-être que c’est une question à garder pour d’autres pièces.

C.L. : J’aimerais déjà aboutir celle-ci.

(Rires)

F.A. : Les deux installations de Catherine font souvent dire que ce serait parfait au sein de spectacles vivants. Je constate qu’elles ne sont jamais utilisées dans des projets de ce genre.

Maria Cosatto (M.C.) : Cette entité communauté me fait dire que nous aussi nous pouvons être une communauté et nous avons un vécu avec l’œuvre en tant que tel. Pourquoi ne pas penser un autre temps s’élaborant à partir de nos propres participations individuelles ? Est-ce qu’il n’y aurait pas un temps différent créé par la communauté des passants ? Est-ce qu’il ne faudrait pas enregistrer cette activité du public pour montrer comment justement ils passent, la manière dont ils laissent une trace et comment l’œuvre évolue avec eux. Un deuxième temps dans le temps s’élaborerait.

F.A. : C’est intéressant ce que tu introduis. En d’autres termes, qu’il y ait une sorte de troisième lecture du temps. Nous avons parlé du temps qui passe, matin, midi, soir et peut-être des jours les uns après les autres, ainsi que du temps comme cycle personnel de relation du spectateur : je suis arrivé, j’ai vécu ceci, et je repars avec mon cycle de temps.

Tu parles d’un autre temps encore, un temps de la relation que l’œuvre installe avec la communauté des humains devant elle. Un temps envisagé comme quelque chose se tissant entre les deux, combinaison entre œuvre et spectateur.

Effectivement, c’est une autre échelle temporelle mobile. Par exemple, nous pouvons imaginer un groupe d’enfants s’agitant près de la pièce pendant deux minutes et qui s’en va. L’œuvre aura vécu une certaine expérience d’énergie durant ce laps de temps. Ce cycle aura certaines cohérences à identifier dans le cycle temporel. C’est effectivement une piste…

C.L. : Oui, c’est intéressant, c’est un temps qui m’interpelle et auquel je n’avais pas pensé. !

M.M.B. : C’est important que l’œuvre soit dans un espace de mouvements permanents, afin de la faire évoluer.

C.L. : Oui, c’est impératif pour moi.!

L.F. : Juste une question : par rapport au choix des couleurs jaune et rouge ?

C.L. : Ce choix du rouge est venu comme réponse de sortie face au bleu de Viens danser. Avec Vincent nous voulions aller vers une certaine abstraction, un environnement plus minimal tout en gardant une certaine dynamique et contraste dans un rapport de distance. Je ne voulais pas de demi-teinte et cela s’est fait de manière instinctive. Puis cela me faisait plaisir de sortir du bleu.

(Rires)

F.A. : Nous avons eu une expérience de Corps complices avec du bleu, du turquoise pour être précis, à Saint Petersbourg. Nous sommes arrivés dans une cathédrale baroque où il y avait un écran de 12 mètres de base. La cathédrale était gigantesque, blanche, turquoise et or. Corps complices en rouge et jaune ne fonctionnait pas dans ce décor et Catherine a décidé de changer le fond en turquoise pour mieux intégrer l’œuvre à l’architecture.

Nous nous sommes ainsi retrouvés avec un dialogue entre les volutes or de la cathédrale et les complices de même couleur. Cela a merveilleusement bien fonctionné.

Didier Bouchon (D.B.) : Je reviens sur la question du temps. C’est important de comprendre que le temps est subjectif, notamment lorsque nous voulons qu’une chose évolue. Par exemple, nous concevons l’ordinateur comme une machine et non comme une entité.

Cependant, si nous voulons faire évoluer les choses dans le temps, il faut se demander pourquoi et qu’est-ce qui provoque ce besoin d’évolution. Si l’on en vient à s’ennuyer, c’est que quelque part il y a eu une envie de quelque chose. Et ces choses peuvent évoluer en fonction de ce que l’œuvre perçoit.

F.A. : En effet, quelqu’un peut s’ennuyer au bout de deux secondes, une autre au bout de dix minutes ou deux heures…

D.B. : Lorsque nous concevons ce quelqu’un, il faut avoir à l’esprit que ce peut être l’ordinateur. Faire du comportemental, c’est concevoir une entité. Ce n’est pas seulement une question d’auteur car le lieu où vous travaillez le comportemental est au sein même de l’ordinateur, entité en tant que tel.

livingartlab

livingartlab